Le parler berrichon, Pierrette Dubuisson et les Atlas linguistiques du Centre
Les « Atlas Linguistiques du Centre » de Pierrette Dubuisson (3 volumes) sont des outils fantastiques pour tous ceux qui s’intéressent au parler local. Ils présentent, sous forme de cartes, comment se dit et se prononce phonétiquement un même mot dans les différents lieux.
Dans le cadre de leurs causeries et conférences estivales, les Thiaulins de Lignières avaient convié Yannick Guilloux en leur château du Plaix pour faire le point sur ce sujet. Bien leur en avait pris, l’assistance était nombreuse.
L’intérêt pour les parler locaux remonte à la deuxième partie de 19ème siècle, probablement en réaction à la chasse qui y est faite. Le comte Jaubert (député du Cher), conscient du risque de disparition du patois, publie dès 1855-56, de façon confidentielle, puis, avec une plus large diffusion en 1864, un «Glossaire du Centre de la France ». D’autre part, d’un point de vue universitaire, Gaston Paris, médiéviste et philologue réputé, prend un grand intérêt pour le patois, en supposant une relation entre les dialectes locaux et le parler médiéval qui est son véritable sujet d’étude.
Sur cette lancée, l’étude du dialecte et de sa répartition géographique (dialectologie et géolinguistique) se mettent en place. Jules Gillieron et Edmond Edmont publient en 1910 l’ « Atlas Linguistique de la France ». On peut également citer, vers cette même époque, les travaux de Ferdinand Bruneau et Louise Vincent pour les « Archives de la parole » dont le centenaire de leurs travaux en Berry a été fêté l’année dernière.
A partir de 1950, l’idée de l’atlas linguistique est reprise sous la conduite d’Albert Dauzas. Il se met en place un atlas linguistique de la France divisé par régions. Pour le centre de la France, c’est à Pierrette Dubuisson qu’est confié ce travail.
Pierrette Dubuisson était la personne idoine pour ce travail : née dans la région (à St Amand Montrond), ayant une solide formation universitaire dans le domaine et ayant participé à la rédaction du dictionnaire Robert, elle était fortement impliquée dans son milieu local, (elle achètera une ferme à Arcomps et y élèvera des moutons !). Dotée d’une forte personnalité, elle avait également un excellent contact avec la population locale.
Pour réaliser cet atlas du centre de la France, il faut d’abord définir la zone de l’étude. La Loire est une frontière évidente pour Pierrette : le parler est différent sur chaque rive ; les autres frontières sont plus arbitraires et résultent du découpage entre les différents atlas linguistiques ; sa zone d’étude comprend l’Indre et le Cher, une petite partie de l’Allier, de la Creuse, du Loir et Cher et du Loiret.
C’est le mot qui est l’objet d’une étude scientifique ; le mot tel qu’il se prononce dans chacune des localités étudiées.
L’enquête se déroule de 1955 à 1967.
Ses interlocuteurs sont répartis sur l’ensemble du territoire (17 pour l’Indre, 19 pour le Cher) et doivent résider sur ce lieu depuis plusieurs générations. Elle choisi souvent des personnes âgées (mais ils peuvent avoir des difficultés de prononciation à cause de leurs problèmes de dents !) ; elle interroge également des enfants.
Le premier volume de l’ « Atlas Linguistique du Centre de la France » concerne les mots de la nature, il parait en 1971 et comporte 616 cartes donnant une vue des variantes locales d’un même mot, noté phonétiquement. Ainsi pour dire « il tombe une pluie très fine », on dira « sa bràzin » chez nous, mais « sa bruyas » un peu plus au nord et « sa berwas » encore plus au nord du département du Cher ; comme nous le montre Yannick Guillou sur la carte :
Pierrette Dubuisson relève également les faits ethnographiques qui se rapportent à son étude. Ainsi il est important de noter quelle traction animale (bœufs, vaches, chevaux) était utilisée dans la contrée quand il s’agit de savoir comment on dit « chanter pour encourager les bœufs » (brioler chez nous). Les cartes comportent une grande richesse en notes ethnographiques précieuses.
Le second volume est paru en 1976, il comporte 487 cartes et se rapporte à l’homme et à ses activités. Comme pour le premier volume, il se dessine des zones de prononciation très imbriquées les unes dans les autres. L’analyse des causes en est laissée au lecteur !
Le troisième volume, plus technique, traite de grammaire et de phonétique. Il a été réalisé en partenariat avec le laboratoire phonétique de Nancy. Il met en évidence les caractéristiques d’un « accent local ».
Au cours de son étude, Pierrette Dubuisson met en évidence une zone de transition entre langue d’oil et langue d’oc à l’extrême sud de la zone d’étude, aux confins de l’Allier et de la Creuse, juste au sud du département du Cher. Ce croissant linguistique sera bien entendu l’objet d’études particulières.
Au cours de la discussion est posée la question de la liaison entre cette étude et la toponymie (étude des noms de lieux) pour essayer de retrouver une base du parler gallo-celtique.
Concernant la toponymie, et en attendant les travaux de Michel Guillemain, on peut se référer aux travaux de Stéphane Gendron qui nous a présenté une très intéressante conférence sur ce sujet, à Ste Sévère au mois de mai dernier : http://nous-en-boischaut-sud.over-blog.com/2014/05/le-nom-des-lieux-autour-de-ste-severe.html