Un Berry sous influence occitane ?

Publié le par nous-en-boischaut-sud

Ce 17 mars, les « Amis de la Tour » de Ste Sévère recevaient Jean-Pierre Surreau, président de l’Académie du Centre pour nous parler de la région frontière au sud de l’Indre, entre Marche et Berry.

Un Berry sous influence occitane ?

Car une frontière passe par ici. Le Berry n’est pas une terre de culture uniforme, il est traversé entre le nord et le sud par les influences culturelles des langues d’oc et des langues d’oïl, une frontière qui n’est pas une limite nette mais plutôt une zone de transition.

Cette transition entre oïl et oc a été très étudiée au niveau linguistique et a donné naissance au « Croissant Linguistique » espace dans lequel on trouve encore aujourd’hui quelques rares locuteurs de ce parler intermédiaire.

Un Berry sous influence occitane ?

Mais le parler n’est qu’une des composante de la culture et il faut en étudier d’autres caractéristiques pour évaluer cette zone de transition.

Origine historique

La frontière a des origines très anciennes, elle remonte à la protohistoire et aux limites entre territoires Bituriges et Lémovices. La limite des territoires est matérialisée par des bornes (La Celette, abbaye de la Colombe à Tilly), des camps fortifiés sont édifiés le long de la frontière nord de la Creuse.

Un Berry sous influence occitane ?Un Berry sous influence occitane ?

Mais une frontière est également un lieu de rencontre et d’échange ; s’y installent des foires (les Hérolles, le 29 de chaque mois, une borne frontière est sur le champ de foire), des lieux de culte (temple de Mazamas à St Leomer, Ste Agathe avec un édifice gallo-romain en contrebas de la chapelle, Vaudouan avec une colonne présente jusqu’au 19ème siècle).

Après la conquête de la Gaule, la province Aquitaine intègre Bourges, la frontière remonte vers le nord. La « Pax Romana » pendant plus d’un siècle, permet de forger une identité culturelle forte.

Un Berry sous influence occitane ?

Au moyen-âge, les limites territoriales explosent, se recomposent : le comté de La Marche est créé (capitale : Moustier d’Ahun), il se sépare de l’Aquitaine. Les limites fiscales, juridiques, militaires s’enchevêtrent, la région est morcelée.

Aspect culturel
  • Langue

Au moyen-âge, la langue d’oc s’étendait plus au nord que le croissant linguistique d’aujourd’hui (Pierrette Dubuisson).

Un Berry sous influence occitane ?
  • Religion

Dans le sud du Berry, la sensibilité religieuse prend souvent des formes qui viennent du sud (Limousin, Marche).

 - Le culte des saints invoque principalement des saints d’origine du sud : Priest, Pardoux, Léonard, Leu, Martial, Sylvain de Cromac, Léobon…

- Les chapelles sont nombreuses et avaient une importance similaire à celle des églises paroissiales (Crozant, Hally, St Plantaire, Lourdoueix…)…

- Présence de lanternes des morts, elles marquent le respect dû aux morts mais sont probablement également un résidu de métempsychose d’origine celte. Elles sont particulièrement nombreuses dans l’Indre.

- Relation avec les morts : incinération vers le sud, sarcophages vers le nord,

- Enfants-prêtres : hommes nés dans la paroisse – prêtres de 2ème ordre – ils disent les prières pour les morts (ex : 1 curé + 12 à 15 enfants-prêtres). Le salut des morts passe par un grand nombre de prières. Au 17ème siècle, l’église supprime les enfants-prêtres, considérés comme de la superstition, et ferme des chapelles.

- Très nombreuses chapelles dans les cimetières, liées à l’importance familiale, usage de porcelaine de Limoges.

- Sensibilité baroque au 17-18ème (Crozant, Fressines). La religion expressive vient du sud, le nord plus austère.

- Organisation de reinages de confrérie – les confréries élisent roi et reine, symbole de l’autonomie villageoise (le roi est celui qui cotise le plus pour les luminaires) : signe d’une culture occitane. Porteur de la confrérie (Feusines) nombreux reinages dans notre région. A Ste Sévère, procession avec porteurs de chasse.

Par contre par les confréries de Pénitents ou l’ostension (fidèles embrassant les reliques) ne se retrouvent pas dans notre région, la limite nord passe dans le Limousin : Bellac- Château Ponsac

  • Musique

Les formes musicales traditionnelles viennent du sud – le Bourbonnais ayant les plus beaux instruments (cornemuses) et les meilleurs musiciens (Bourbonnais). Les bourrées viennent d’Auvergne (cf. George Sand)

  • Sociabilité

Associations de jeunes (bacheliers) – organisent fête, bals – elles sont organisées en « royaumes » indépendants – un tel royaume existait à Goutte-Noire (Châteaumeillant), on suit leur marque dans la toponymie (la bachellerie).

  • Solidarité interne

Echanges commerciaux dans le cadre de foires (La Berthenoux, St Denis de Jouhet,  St Benoit du Sault) qui drainaient des milliers de personnes.

Commerce du vin entre zones de production dans le sud du Berry et les consommateurs au sud (limousin).

  • Façon de vivre

Emigration de travailleurs ; alors que le limousin fournissait surtout des maçons, le Berry (région de Chaillac, St Benoit du Sault) apportait des charpentiers ou des couvreurs.

A partir de ces éléments on peut tracer une carte de la sensibilité méridionale (culture occitanne) en Berry. Elle ressemble beaucoup à la carte du parler pré-occitan de Pierrette Dubuisson.

Un Berry sous influence occitane ?

Géographiquement, la limite suit la cuesta entre bassin parisien et zone de collines. Dans l’Indre, 80 communes de tradition occitane.

Rupture et regain identitaire

A partir du 18ème Paris réduit l’influence occitane. Au niveau religieux, l’Eglise interdit le reinage, réduit le culte dans les chapelles au profit de l’église, défavorise le culte de saints régionaux (allant jusqu’à enterrer les statues des saints locaux), les fêtes patronales sont strictement limitées aux aspects religieux.

Au 19ème la création des départements entérine la séparation entre Marche/Limousin et Berry. L’école élimine le patois.

Les foires sont court-circuitées par le rail, les limousins se tournent vers la Charente  pour l’approvisionnement en vin et se détournent du Berry.

Aujourd’hui apparait un regain de volonté de rencontre. Les termes de Marche ou Occitan sont plus valorisés (une communauté de communes se nomme : « Marche occitane »).

Au niveau politique, le sud du Berry se situe toujours plus à gauche que le nord –Berry (1er tour de l’élection présidentielle de 2017) : effet de l’émigration vers Paris des maçons, charpentiers, couvreurs qui avaient ramené en Berry des idées « progressistes » ?

Un Berry sous influence occitane ?

Il existe donc, au sud du Berry, une zone où l’influence occitane a été marquante. On peut également la retrouver au niveau de la toponymie (voir notre article précédent pour la région de Châteaumeillant).  

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