L’histoire de la dentelle passe aussi par le Berry.
La dentelle, aujourd’hui considérée comme un ouvrage pour dame, était au 18ème siècle une industrie majeure employant des millions de personnes en France (rien qu’en Normandie il y avait plus de 500000 dentellières !). Cependant l’histoire de la dentelle et des dentellières reste à faire. Nicole Ovaere-Raudet nous a fait le « point », ce26 juillet chez les Thiaulins. Et, avec elle, nous découvrirons que le Berry a joué son rôle dans cette histoire. Compte-tenu de la météo, nous avions abandonné la cour du château pour le préau.
La dentelle n’existe pas avant le 16ème siècle. L’origine de la dentelle serait turque avec les Oya qui sont des enfilades de nœuds. Avec l’arrivée des Ottomans la technique passe à Gènes et à Venise. S’il existe deux types de dentelle, au fuseau et à l’aiguille (le crochet, la frivolité ne sont pas considérés comme une dentelle), Nicole Ovaere-Raudet nous parlera essentiellement de la dentelle à l’aiguille (passement).
A Venise, la dentelle est réalisée à partir de tissu avec des fils tirés et rebrodés, et le tissu résiduel se retrouve sur la dentelle. Le point en l’air apparait vers 1650, la dentelle se base alors sur des bosses créées par l’aiguille ou le fuseau, et le tissu disparait de la dentelle. Au 17ème siècle, la dentelle est faite de lin ou de soie en Flandre, avec, au Piémont, du crin de cheval.
Au 17ème siècle, la mode de la dentelle devient une folie.
Son coût est fabuleux : le dessus de lit de la duchesse de Luynes vaut 400000£ (le prix d’une vache est alors de 20£). Si, à cette époque le luxe est socialement accepté, les dentelles, achetées hors du Royaume, grèvent les finances.
En France, à la suite des guerres de la Fronde, la situation financière est précaire. Il devient important pour les gouvernants d’éviter la fuite de l’or hors des frontières. Trois produits sont particulièrement surveillés : les armes, les miroirs, les dentelles.
Les édits somptuaires tentent de réserver le port de vêtements de luxe à une certaine population, mais ils mécontentent tout le monde (ils sont à l'origine d'une satire : "La révolte des passements" rédigée par Mademoiselle de SCUDERY.)
Colbert choisit une autre voie : il créé les manufactures de dentelle en 1665-1666. Ces manufactures ont le monopole de la vente de dentelle en France, l’importation de l’étranger est interdite (cette interdiction est difficile à faire respecter car les commerçants veulent au moins écouler les stocks existants). Accessoirement, ces manufactures ont pour but de concurrencer Venise et les Flandres ainsi que d’occuper les sujets français ! (mettre la France au travail)
Une compagnie des dentelles est créée. Les manufactures sont implantées essentiellement dans les villes où la tradition existe, les échevins doivent fournir les locaux. Elles sont implantées à Alençon, Arras, Aurillac, Auxerre, Bourges, Montargis, Reims, Sedan et Sens (c’est ici que le Berry joue son rôle dans l’histoire). A Bourges, la manufacture s’implantera dans l’Hôtel des Echevins (actuel musée Estève). Madame MARECHAL sera Maîtresse dentellière.
Le but est d’imiter et de dépasser le point de Venise. Des espions sont envoyés à Venise, les maitresses-dentelière sont débauchées. En France, les grands noms sont mis à contribution pour le dessin des dentelles (Le Brun, Bérain).
Les filles sont incitées à venir travailler dans ces manufactures où elles sont payées, ce qui représente une rupture majeure avec le mode de travail de l’époque qui se réalise à domicile. Cependant, la résistance est forte : d’abord, ces filles ne peuvent plus tenir la maison et faire les tâches qui leur incombent, et puis il devient difficile de trouver des bonnes et puis aussi, toutes ces filles dans un bâtiment fermé sous la direction d’un homme...
Elles seront néanmoins une soixantaine à Bourges et jusqu’à 300 à Auxerre ou à Reims.
La fabrication d’une dentelle requière dix opérations mais chaque dentellière est spécialisée et ne réalise qu’une seule opération. La division du travail permet de mieux conserver le secret. Le choix de Bourges, qui n’a pas de tradition dentellière particulière, s’explique par sa position géographique entre Aurillac et Alençon où sont probablement réalisées les opérations les plus délicates.
La technique est très longue à acquérir pour trouver le bon geste. C’est ce qui justifie la durée du monopole de 9 ans et correspond à la période de formation des apprenties. Au bout des 9 ans, le monopole n’est pas renouvelé, les apprenties formées dans les manufactures essaiment dans les ateliers privés. A Bourges, les échevins récupèrent leur palais en 1677. Pendant ces 9 ans, ces filles auront appris la meilleure technique, le soin et la propreté apportés dans la réalisation.
Le résultat est la création du « point de France » (par opposition au point d’Angleterre) qui devient la dentelle la plus recherchée et la plus luxueuse. C’est une maille picotée hexagonale, très souple mais qui nécessite une journée (de 10h) pour réaliser 2 cm2 de dentelle !
Aujourd’hui le point de France se perpétue à travers le point d’Alençon qui vient d’être inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco. Cette continuité sur tant de siècles doit beaucoup aux Sœurs de la Providence d’Alençon qui ont perpétué la tradition même si la qualité du lin d’autrefois n’existe plus et si les aiguilles disponibles ne sont plus aussi fines.
Actuellement il existe deux ateliers nationaux : l’un à Alençon pour la dentelle à l’aiguille, l’autre au Puy- en-Velay pour la dentelle au fuseau (plus tourné vers le contemporain).Rattachés au Ministère de la Culture, ils œuvrent dans le cadre du Mobilier National.
Nicole Ovaere-Raudet nous a beaucoup parlé de la dentelle à l’aiguille, elle montre aussi sa déception face à la situation actuelle de la dentelle au fuseau. De nombreux groupes se forment mais le niveau de l’enseignement y est très faible et le dessin n’est pas enseigné.
Avec les Thiaulins, le petit « mangement » qui suit la conférence est concocté avec art, aujourd’hui, par le choix des couleurs et des formes, il évoque … la dentelle ! Et en plus il est délicieux !
C’est aussi le moment où nous pouvons admirer les dentelles apportées par Nicole Ovaere-Raudet, issues de sa collection particulière.
Vous pouvez retrouver cette histoire dans son livre « Les manufactures de dentelle de Colbert » édité par le Cercle Généalogique du Haut-Berry.
Merci à Marie Geneviève Baudimant pour la photo !
C'était une sortie proposée dans : notre agenda