Ernest Nivet – un sculpteur majeur, praticien de Rodin et berrichon
… ou comment un gamin des environs de Levroux, issu d’un milieu très pauvre, troisième fils (sur 5) d’une famille de journaliers agricoles embrasse une carrière artistique, devient praticien dans l’atelier parisien de Rodin, s’adaptant mal à la vie parisienne, revient en Berry, sans le sou et avec une famille à nourrir, s’impose comme un sculpteur majeur, reconnu, auquel on confie de nombreuses commandes publiques !
Cette histoire méritait d’être racontée, et qui pouvait mieux le faire que sa propre petite fille : Francesca Lacour ? Ce fut le thème d’une de ces si agréables conférences organisées par les Thiaulins de Lignières dans la cour de leur château du Plaix.
Si son enfance fut difficile, Ernest Nivet en garda de très bons souvenirs et il restera influencé toute sa vie par ces ambiances de veillées campagnardes, par sa vie dans les bois avec son père à récolter de l’écorce pour le tannage … Il en conservera également une certaine forme de piété populaire, marqué par les pèlerinages aux saints guérisseurs.
Ses parents migrant du Gours près de Levroux, au bourg de Levroux puis dans les faubourgs de Châteauroux, il aura l’occasion de voir ses premières statues et notamment une Vierge de pitié qui l’impressionnera et décidera de sa vocation.
Mais quand on n’a pas le sou, impossible de faire un apprentissage artistique (non payé) ; il s’embauche comme tailleur de pierres et s’inscrit en parallèle aux cours de dessin de Bourda à l’école municipale de Châteauroux. C’est là, à 18 ans, qu’il réalise ses premières œuvres, notamment un buste de « sa grand-mère » qui est remarqué par Georges Lenseigne. Celui-ci, mécène, l’incite à partir à Paris avec un mince pécule et une bourse pour suivre les cours des Beaux-arts.
Mais arrivé à Paris sans relations, pas moyen de trouver de l’embauche et en plus il n’apprécie pas du tout l’ambiance qui règne dans l’atelier de Falguière aux Beaux-arts. Il sera sauvé par Lenseigne qui montre ses œuvres à Rodin alors que celui-ci est en Touraine et Rodin accepte de le prendre comme praticien : Ernest Nivet recopie sur pierre le modèle de l’artiste !
Dans cet atelier il se lie d’amitié avec Pompon, mais globalement les relations sont tendues dans l’atelier ; Rodin est très exigeant, paie mal et de façon aléatoire. Ernest Nivet vit dans une grande misère et s’il apprécie le haut niveau de l’atelier, il étouffe et enrage de ne pas disposer de temps pour ses propres œuvres. Bien que son contrat soit renouvelé, il quitte Paris en 1895 pour rejoindre sa fiancée berrichonne.
A nouveau sans le sou et une famille à charge (il a épousé sa fiancée et a une puis deux filles), il vit avec ses beaux-parents dans les faubourgs de Châteauroux. Il construit un petit atelier au milieu des vignes orné de devises pour son travail.
En 1897, sa « tricoteuse » est admise à Paris au Salon des artistes français, elle lui apporte la reconnaissance. En 1899 il reçoit sa première commande publique pour sa « pleureuse ». En 1902 il est nommé professeur de dessin.
Ses sculptures monumentales, « le berger debout », « le berger couché » suscitent l’admiration. Pour ses œuvres, il reprend très souvent les mêmes thèmes, rectifiant sans cesse, toujours insatisfait, toujours cherchant à exprimer la vérité de ses personnages. Il préfère des personnages susceptibles de lui apporter une expression aux modèles professionnels.
Son épouse meurt en 1916, ce sera une rupture dans sa vie. Il se remarie en 1920 et commencera une nouvelle vie.
C’est l’époque de l’édification des monuments aux morts. Il réalise celui de Levroux dans un style proche de celui de Rodin. Il réalisera celui de La Châtre puis plus tard celui du département de l’Indre et celui de Châteauroux. Dans chaque cas transparaitra sa haine de la guerre. Au fil des années sont style se simplifiera, les drapées sont plus stylisés.
A la fin de sa vie il réalisera des maquettes pour un monument de la déportation. Très profondément marqué par l’horreur de la période, il en résultera une œuvre d’expression très violente.
Sa dernière œuvre sera le médaillon de Verneuil en hommage au cercle des Epingués avec Nigond, Mailleau et l’Abbé Jacob, un cercle dans lequel il a été souvent reçu.
En dehors de ces commandes publiques, Ernest Nivet a réalisé de très nombreuses commandes privées, souvent des bustes qui traduisent toujours une grande vérité humaine. Le décompte de ces oeuvres est difficile, Lucien et Francesca Lacour y travaillent depuis une dizaine d’années.
Merci Mme Francesca Lacour pour ce brillant exposé. Au fait, savez-vous pourquoi Mme Lacour, petite-fille d'Ernest Nivet se prénomme Francesca ? C'est justement à la demande de son grand-père pour rendre hommage à Michel-Ange, dont la mère se prénommait ainsi !
Après une telle conférence, les Thiaulins ne sauraient nous laisser partir sans manger et sans boire … et sans discuter du sujet traité. C’est l’objet du petit mangement dont verrine aux lentilles et fromentiau tels que seuls les Thiaulins savent le réaliser !
Francesca et Lucien Lacour ont publié en 2018 une biographie détaillée d'Ernest Nivet aux éditions Lucien Souny : "Ernest Nivet (1871-1948) Vie et destinée d'un patricien de Rodin"
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