A Chassignolles, lettres d’agriculteurs lors de la randonnée au pays de George Sand

La randonnée au pays de George Sand était à Chassignolles ce 22 aout. Le nombre de participants avait été limité, les consignes étaient bien données pour se conformer aux contraintes du moment.

Dès le départ nous nous trouvons dans l’ambiance typique du Boischaut avec ses granges à auvent et ses ânes « Grands Noirs du Berry ».

A un carroir, entre d’épaisses bouchures, quatre acteurs de la Cie des Fous de Bassan (45) nous attendent, mais juste à côté un agriculteur taille sa haie : le bruit est incompatible avec le spectacle et c’est nous qui lui demandons d’aller un peu plus loin alors que c’est lui qui travaille, un comble !

Les relations entre les agriculteurs et la population, c’est justement le sujet du spectacle d’aujourd’hui ! Reprenons le projet qui a conduit à ce spectacle.

La Compagnie des Fous de Bassan a demandé à des agriculteurs d’écrire une lettre, à qui ils veulent. Une seule contrainte, ils doivent l’écrire en se mettant à la place d’un élément non humain: animal, végétal, organisation, n’importe quoi …  Ces lettres ont simplement été reprises pour les mettre en scène ou en chansons, elles n’ont pas été retouchées, ou juste à la marge pour les besoins de la mise en scène ; et la quasi-totalité d’entre elles sont présentées intégralement.

Tout cela s’est déroulé dans la région Loire Beauce, entre Orléans, Blois, Vendôme.

Un accordéon et quatre acteurs pour les présenter, les lire et les mimer dans un ordre qui semble aléatoire. On commence avec un brin de nostalgie par une chanson qui deviendra le fil rouge du spectacle :

- lettre de la campagne à la population : vous y veniez à vélo, par le train en voiture pour chercher de la nourriture, des poulets, des lapins, de quoi faire du pain…

D’autres lettres révèlent le sentiment d’injustice et d’incohérence de la société envers les agriculteurs : moi, molécule phytosanitaire j’empêche que le blé contaminé ne soit toxique, toi tu utilises les mêmes molécules pour éviter les démangeaisons, tu m’accuses de polluer et en plus tu fumes ! (lettre d’une molécule phytosanitaire au cycliste). Tu me reproches d’utiliser des produits synthétiques et polluants et tu maudis une motte de terre sur la route, mais c’est la vie que je laisse, moi, au milieu de tout ce goudron artificiel et polluant (lettre de la motte de terre à l’automobiliste).

On trouve des points de convergence par exemple sur l’arrachage des arbres par les céréaliers (lettre du pommier au promeneur du val, qui nous est interprété sur l’air de la 5^ème symphonie de Beethoven : pom, pom, pom, pom !) ou sur le contrôle technocratique (lettre de la PAC au contribuable)

Nous reprenons notre balade dans la campagne. Les lettres ont marqué les esprits, c’est une vision tout à fait cohérente à laquelle nous n’étions pas habitués qui nous a été présentée.

Nous traversons et retraversons la Vauvre pour arriver à notre lieu de pique-nique : un grand hangar dans une ferme d’élevage. Le hangar voisin est occupé par quelques vaches qui nous tiennent compagnie.

Quelques vaches plus loin, dans les prés cette fois-ci, nous retrouvons nos acteurs avec l’impatience de découvrir de nouvelles lettres.

Certaines sont plus douces, avec le sentiment pour l’agriculteur d’être utile et vital pour l’entretien de la terre (lettre de la terre nourricière à toi), d’autres sont empreintes de nostalgie poétique (lettre de la vieille bergerie au nouvel arrivant, lettre de l’arbre de Beauce au passant) empreintes de poésie et d’amour (lettre du blé au colza son voisin, lettre de la paire de bottes à toi). L’humour n’est pas absent (de Bébert le ver de terre au promeneur beauceron accompagné de S. Gainsbourg « Je fais des trous, des p’tit trous …).

C’est reparti ! Le chemin, longeant pendant longtemps l’ancienne voie ferrée, nous mène jusqu’au prieuré de Magny où se déroulera notre repas. Le site est magnifique. Profitons-en pour visiter l’église avec son chœur peint. Avez-vous remarqué la petite sirène sculptée sur le chapiteau du chœur ? Le symbolique nous échappe un peu : la volupté, le mal ou la fécondité ?

Nous repartons par la fontaine St Rémi et longeons la Couarde, à sec !  C’est d’ailleurs dans le lit de la Couarde que se sont installés nos artistes pour la troisième lecture des lettres des agriculteurs.

On retrouve ce sentiment d’injustice : le métier d’agriculteur est ressenti comme déconsidéré (plouc, cul terreux) pourtant il faut aussi bac ou BTS pour être agriculteur (des moissons d’antan aux gens de maintenant). L’agriculture entraine certes des désagréments : la culture de la betterave, le fumier, ça pue et on dit que ça pollue, mais elle stocke aussi le CO2, elle protège la faune en plus d’être indispensable à notre nourriture, y compris bio. Il en résulte un sentiment de découragement « j’ai besoin qu’on me regarde avec tendresse » (de la betterave à vous, du tas de fumier aux habitants). On ne nie pas que la situation s’est beaucoup dégradée (d’une petite goutte de pluie aux promeneurs), les évolutions qu’on entrevoit ne sont pas réjouissantes (des 50 vaches à vous). La lecture se termine sur une lettre d’une intensité émotionnelle extrême qui résume le désarroi du monde agricole qui se sent injustement malaimé (de la longe au citoyen) dans cette lettre, le pire sera évité ... pour cette fois-ci !

Le résultat est exceptionnel, il vous donne une vision nouvelle de l’agriculture d’aujourd’hui, vue de l’intérieur, vision poétique et réaliste, au-delà des simplifications abusives et des clichés que l’on peut entendre, dans un sens ou dans un autre. Ici on accède à une vision humaine de l’agriculture avec ses joies et ses interrogations, ses doutes mais surtout sa tristesse de se sentir incompris et de voir que ses arguments, pourtant bien réels, ne sont pas pris en compte. Une bouffée d’intelligence humaine non technocratique !

Nous repartons, un champ de blé noir ondule en mer blanche bordée de vertes bouchures. Nous passons devant le sentier botanique de Chassignolles, nous n’avons pas vraiment le temps de nous y arrêter mais il semble particulièrement bien documenté.

Arrivés à Chassignolles nous sommes reçus par Mme la maire qui nous présente sa commune, bien connue pour sa Maison des Traditions. Elle est actuellement fermée le temps de refaire le parcours muséographique et c’est une version toute nouvelle qui sera présentée au printemps prochain. L’autre point d’attraction est « La Grange aux pianos » que le pianiste Cyril Huvé a aménagée et dans laquelle il donne régulièrement, avec humanité, des concerts de très grande qualité, des artistes talentueux.

Un grand merci à la Compagnie des Fous de Bassan qui ont porté ce projet d’écriture de lettres d’agriculteurs et qui l’ont superbement mis en scène et en musique. Ils ont marqué leur auditoire.

L'ensemble des lettres est disponible sur Internet : https://lettresdupays.com/toutes-les-lettres-semees/