Fiction, réalité et réel dans la littérature avec Henri Lafranque à Châteaumeillant
Ce 30 octobre, Henri Lafranque, l’auteur de « L’âme des ormes »[1] animait une causerie au Pôle culturel de l’étang Merlin dans le cadre des activités de la bibliothèque André Fermiguié de Châteaumeillant ;
le thème : le rapport entre réalité et fiction en littérature.
Pour ce livre, « L’âme des ormes », Henri Lafranque s’est fortement inspiré du réel vécu dans le cadre de sa longue expérience de médecin de campagne. Mais la réalité telle que ressentie par l’auteur est inévitablement différente du réel. De plus, le passage à l’écrit nécessite le recours à la fiction, au minimum par respect pour les personnes dont il s’inspire et, dans le cas présent, pour ne pas trahir le secret médical auquel il est astreint.
[1] Henri Lafranque – L’âme des ormes – La Bouinotte ed. (2022)
La première fiction à prendre en compte est donc la fiction des personnages.
Un simple changement des noms n’est pas suffisant. La problématique est décrite dans une lettre de Flaubert à Maupassant (extrait lu par Mado, bibliothécaire à Châteaumeillant) : "faites-moi voir, par un seul mot, en quoi un cheval de fiacre ne ressemble pas aux cinquante autres qui le suivent et le précèdent." Il s’agit de saisir le mot, le geste, le tic verbal caractéristique, la simple observation.
Autre exemple : le comice Agricole de Ry dans « Madame Bovary » de Flaubert, (extrait lu par Luce, bibliothécaire à Chateaumeillant).
Un cas particulier est l’autofiction où auteur, narrateur et héros se confondent. La question est : « Je » est qui ? Car si « je » est un autre, on navigue en plein flou identitaire !
Ainsi Marguerite Duras dans l’Amant (extrait lu par Sylvia bibliothécaire à Châteaumeillant) navigue entre le « je » et le « elle ».
Autre exemple : Annie Ernault dans « La Place » (extrait lu par Luce, bibliothécaire à Châteaumeillant) racontant ses origines très modestes se décale entre la honte de ses origines très modestes et la honte d’avoir honte de ses origines.
Parmi les jusqu’au-boutistes de l’autofiction Hervé Guibert qui décrit brutalement l’avancée de son sida.
La limite entre fiction et réel se juge parfois au tribunal où se traite des questions d’éthique pour l’utilisation de faits réels même déformés. Camille Laurens (extrait lu par Françoise, bibliothécaire à Châteaumeillant) accuse Marie Darrieussecq de « plagiat psychique » pour avoir utilisé dans « Tom est mort » une expérience qu’elle n’a pas éprouvée elle-même, mais s’inspirant des émotions décrites par elle-même (Camille Laurens) dans un précédent livre (le cas sera réglé par l’éditeur commun de ces autrices).
A côté de la fiction des personnages, la fiction peut être historique:
Victor Hugo fait une description fouillée de la bataille de Waterloo (bien réelle) pour y insérer un Thénardier (imaginaire), dont il fera un pôle de son roman « Les Misérables ».
Plus près de nous, Eric Vuillard dans son dernier roman « Une sortie honorable » se met dans la peau du Général Navarre, commandant en chef de l’armée française en Indochine après la bataille de Dien-Bien-Phu (extrait lu par Liliane, bibliothécaire à Châteaumeillant).
Autre fiction, celle liée aux faits divers.
Là, à côté de quasiment toute la littérature policière, on retrouve Emmanuel Carrère qui, dans « L’Adversaire » revient sur l’affaire Roman ou James Ellroy dans « Le Dalhia noir » qui met en parallèle un crime sordide non résolu et le meurtre de sa mère.
Pour rester dans le milieu rural, Corinne Royer, dans « Pleine terre » imagine ce qui peut se passer dans la tête d’un paysan en fuite, écrasé par la machine administrative agricole, pendant les neuf jours de sa cavale dont on ne sait rien (extrait lu par Nicole bibliothécaire à Châteaumeillant).
Un dernier type de fiction : la fiction sociale ; dans le domaine de la paysannerie, la palme revient à Zola dans « La Terre ». D’une part avec Jean Maquart, d’abord ouvrier citadin, il devient ouvrier agricole (extrait lu par Sylvia) et montre le fossé entre paysans et néo-ruraux mettant en lumière le conservatisme des premiers. D’autre part avec Alexandre Hourdequin (extrait lu par Nicole), gros propriétaire, qui accepte le progrès, d’abord à contre cœur, pour finalement finir ruiné.
Cette vision de l’agriculture par Zola au 19ème siècle est à méditer de nos jours au vue de la situation actuelle !
Balzac est le moins tendre avec les paysans dans son livre éponyme (extrait lu par le conférencier). Il montre la honte d’être paysan. Ce sentiment a été bien ressenti par le conférencier lors son arrivée en Berry !
Henri Lafranque termine son exposé par quelques citations de George Sand sur la liaison pays, paysage, paysans, faisant d’elle une des premières écologistes !
Dans la discussion d’après conférence, Henri Lafranque évoque la façon qu'il a eu de composer ce livre : d’abord le décor avec la fête, puis l’introduction des personnages avec les deux familles, puis l’environnement « le chœur antique ! », trois personnages, féminin étant les plus fouillés : Marion et les deux belles-mères. La plupart des personnages dont il s’est inspiré ne se sont pas reconnus dans son roman, alors que bien d’autres personnes se sont reconnues alors qu’elles étaient étrangères à son inspiration !