« L’école de nos ancêtres » avec Gérard Touchet à La Berthenoux
Gérard Touchet, instituteur, puis cadre supérieur dans la fonction publique, a entrepris, la retraite venue, une recherche sur l’histoire des écoles de Thevet St Julien, son village natal, faisant l’objet de la publication d’un livre autoédité. Puis il a élargi cette étude à l’histoire de l’enseignement dans le canton de La Châtre, entre 1789 et 1918. Ce 17 avril, il nous a présenté une partie de son travail dans le cadre chaleureux de la médiathèque de La Berthenoux, devant une vingtaine d’auditeurs.
Jusqu’à la Révolution, et même sous l’Empire, la situation de l’enseignement dans le canton de La Châtre est un grand désert, la première école du canton ouvrira en 1819 à Verneuil grâce à un mécène, Charles Duvernet, la première école de La Châtre ouvrant, elle, en 1820.
Le préfet Dalphonse, dans son mémoire statistique du département de l’Indre, dresse, en 1804, un bilan catastrophique de la situation de l’instruction publique: le taux d’analphabétisme voisine les 95%. Les injonctions de La Révolution pour une école publique obligatoire sont restées lettres mortes et le préfet Dalphonse pointe les causes : aucun financement national prévu, pas de recrutement d’enseignants locaux possible faute de personnel qualifié, éloignement des enfants et accaparement de ceux-ci par les travaux de la ferme (donc s’il n’y a pas d’élèves, pas de rétribution pour l’enseignant !).
La loi Guizot de 1833 marque une nette avancée : elle impose à chaque commune d’entretenir une école publique, pour les garçons, d’abord et prévoit un système de financement par l’impôt. Elle instaure également une certaine gratuité pour des élèves jugés indigents.
Dans notre milieu rural, cette loi se heurte aux finances exsangues des communes. Elle conduit néanmoins à l’ouverture de quelques écoles (Ste Sévère, Vicq-Exemplet, Thevet, St Chartier, Pouligny ND, St Aout) mais au prix de contraintes fortes et de la qualité médiocre des locaux : à Thevet, la commune loue un local dans lequel elle doit faire des travaux importants ; malgré cela la situation est jugée précaire. En 1858 la commune doit trouver 5 000F pour l’achat et l’aménagement d’une « maison d’école » : pour cela, elle doit vendre des terrains communaux pour 1 980 F et s’endette pour 3 600 F.
La loi Falloux, en 1850, impose à toute commune de plus de 800 âmes d’avoir également au moins une école de filles. Ces écoles seront très généralement tenues par des congrégations religieuses (les Sœurs de la Charité à Thevet en 1845). En principe les classes ne doivent pas être mixtes, cependant, par dérogation, des classes mixtes seront créées à condition que garçons et filles soient séparés par un mur d’au moins 1, 50 m de hauteur et que les accès des garçons et des filles soient séparés !
Au départ, dans toutes les communes, l’école est à classe unique. Mais avec l’expansion démographique de la 2ème partie du 19ème siècle et avec la progression du taux de scolarité, les locaux deviennent à nouveau trop exigus. Ainsi, à St Aout dans l’école de garçons, 72 élèves s’entassent dans 35m2 ! De nouvelles dépenses à prévoir pour la commune…
Malgré ces difficultés, le taux de scolarisation progresse partout, mais il très est inégal selon les communes : de 84% dans la ville de La Châtre à moins de 30% à Feusines, Briantes ou Vijon (ces chiffres doivent néanmoins être pris avec précaution car les enfants ne sont pas obligés d’aller à l’école de leur commune : par exemple, des enfants de Briantes peuvent se rendre à La Châtre). Globalement, nos départements berrichons se classent parmi les moins scolarisés de France.
Les instituteurs sont rémunérés partiellement par les élèves, partiellement sur fonds publics. En 1879, un minimum de 1 200 F leur est garanti par la commune, mais pour une petite commune comme La Berthenoux, cette charge obligatoire est lourde, d’autant plus qu’elle doit aussi leur fournir un logement de fonction décent. Très souvent, les revenus de l’instituteur sont également complétés par un traitement de secrétaire de mairie.
Traitement fixe |
200 |
Rétribution scolaire |
312 |
Traitement pour élèves gratuits |
149 |
Complément à 1200F |
539 |
Mairie |
200 |
Revenus divers |
200 |
Total pour l’année |
1600 |
Rémunération de Louis Forest, directeur de l’école de garçons de La Berthenoux en 1879
Une partie des élèves bénéficie de la gratuité sur des critères sociaux (à condition que les parents en fassent la demande). Le nombre de ces boursiers est fixé administrativement pour chaque commune. Il est à noter que l’éloignement de l’école est un frein majeur à la scolarisation dans nos campagnes, les enfants du bourg sont bien plus scolarisés que les enfants des hameaux éloignés.
La rétribution scolaire, au départ, mensuelle, fait l’objet d’un abonnement pour éviter la faible fréquentation scolaire pendant les mois des gros travaux agricoles. Cette procédure se généralisera peu à peu et permettra une meilleure scolarisation.
Entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle, l’enseignement bénéficiera de deux bouleversements majeurs : les lois Jules Ferry de 1881-1882 rendant l’école gratuite et obligatoire, puis la loi Combes, en 1904, qui interdit l’enseignement aux Congrégations. Cette dernière loi fera l’objet d’une forte résistance dans nos campagnes, la population étant très attachée aux institutrices congréganistes et la création de nouvelles écoles s’avérant une charge lourde pour les municipalités. Par ailleurs, la IIIème République, en séparant l’Église et l’État, a mis fin à l’emprise du clergé sur l’école publique : notamment, l’enseignement religieux y est remplacé par la morale civique.
Les lois Ferry auront un effet rapide et majeur sur l’éducation en milieu rural : le taux de conscrits du canton de La Châtre ayant un niveau d’instruction primaire passe de 36 % en 1878 à 79 % en 1898. Le niveau d’instruction des filles est globalement similaire à celui des garçons : 53 % des garçons et 47 % de filles parmi les admis au Certificat à La Châtre entre 1891 et 1911. Cependant, au XIXème siècle, l’instruction des jeunes filles s’est souvent mise en place avec retard, comparée à celle des garçons et les religieuses, dispensées d’être formées, délivraient souvent un enseignement de moindre qualité.
A la suite de cette très intéressante conférence et très documentée, la discussion s’engage, entre commentaires et souvenirs, avec le public passionné.
L'ouvrage de Gérard Touchet : « Les Ecoles de Thevet Saint-Julien de la Révolution à la Première Guerre Mondiale » est disponible auprès de l’auteur : gerard.touchet@hotmail.fr ; les bénéfices sont intégralement reversés au profit de la sauvegarde et de la restauration de l’église Saint Martin de Thevet.