Les montagnes à Noirlac avec Olivier Remaud
Ce 14 décembre, nous étions conviés à Noirlac pour une conversation avec Olivier Remaud, conversation animée par Georges Buisson.
Mais tout d’abord quelques éléments de présentation : Olivier Remaud est directeur d’études à l’EHESS (école qui, précise-t-il, enseigne la recherche en train de se faire), il est titulaire de la chaire « Histoire et théorie des cosmopolitismes ».
A la suite de sa thèse sur Giambattista Vico, le précurseur de la philosophie de l’histoire, son premier livre est consacré à Jules Michelet. Il s’intéresse à la théorie de l’histoire et à la façon d’étudier les temps longs.
Son intérêt pour la solitude volontaire le situe dans le sillage d’Henri David Thoreau. La solitude volontaire n’est pas un repli sur soi : « je m’en vais, mais je reviens !», il s’agit de faire un pas de côté pour mieux se connaitre et mieux connaitre ce qui nous entoure. Comme l’éloignement est le plus souvent vers la nature, il trouvera là ses sujets d’étude. Il milite pour la protection des animaux sauvages et prône un certain ré-ensauvagement de la nature.
Ces deux derniers livres ont trait à la montagne : « Penser comme un iceberg » (la montagne de glace) et « Quand les montagnes dansent ». A la suite d’Aldo Léopold (Almanach d’un comté des sables), il pense que le minéral doit être considéré à l’égal d’un être vivant ; c’est en allant au plus global, en pensant comme la montagne qu’on comprend le sens du loup : celui-ci régule la population de cerfs ce qui permet la régénération de la forêt.
Les icebergs qui paraissent les milieux les plus inanimés qui soient, sont en fait une arche de vie : la vie foisonne et s’accroche à sa partie immergée.
Les glaciers, qui donnent naissances aux icebergs, sont très souvent considérés par les peuples autochtones comme des êtres à part entière ; ils figurent dans leur cosmologie et ils s’adressent à eux. Les chamanes discutent avec les glaciers et, quelque soit le mode d’interaction, le fait social indiscutable est que le glacier participe à la cohésion du groupe. C’est un acteur.
Dans notre monde actuels, nous aussi attribuons aux glaciers des termes qui semblent spécifiques aux êtres vivants : lorsqu’un glacier relargue un iceberg dans la mer, on parle de vêlage (ce mot vient des pêcheurs à la baleine qui n’ont pourtant pas la réputation d’êtres éthérés). Nous avons, nous aussi, un affect vis-à-vis du glacier et de l’iceberg.
Lorsqu’un glacier disparait un sentiment de détresse s’empare des populations avoisinantes, un mot a même été créé pour exprimer ce sentiment nostalgique : la solastalgie. En Islande, pour la première fois, un mémorial a été érigé pour la mort d’un glacier.
Les glaciers sont nos partenaires avec lesquels nous échangeons, c’est donc l’égal d’un être vivant ; la question se pose alors de leur donner un statut juridique.
L’attrait d’Olivier Remaud pour la montagne remonte à son enfance et aux vacances familiales dans le Queyras. Se retrouver en octobre, avant l’aube sur un plateau de haute altitude est une expérience unique ; se glisser dans une anfractuosité et observer le plateau qui s’éveille : les lumières, les êtres qui se préparent à l’hiver… observer la montagne en train de vivre !
La vie est partout, même au-dessus de la ligne des arbres. En arctique, les bouleaux poussent horizontalement et on marche sur une forêt. Mais si la vie est partout, la découvrir nécessite patience, tact et discrétion. Tous les sens doivent être volontairement mis en éveil car naturellement l’ouïe est esclave de la vue : fermer les yeux, individualiser les sons… Une belle expérience est de s’endormir en milieu naturel : au réveil l’œil voit ce que l’oreille écoute.
Dans ce monde plein de vie, le petit plateau d’altitude est la place du village ! Chacun vit en bon voisin, les animaux communiquent entre eux mais chacun garde ses distances.
La montagne c’est aussi les roches, c’est le domaine du géologue. Mais au fond de lui, le minéral n’est pas un simple objet d’étude mais c’est un sujet avec lequel il a finalement un comportement empathique. Toucher une strate c’est sentir l’épaisseur du temps, c’est une expérience profonde.
En conclusion, toutes ces études des interdépendances entre humains et non humains est une discussion entre la science et les peuples autochtones. Il est absolument nécessaire de relier l’écologie sensible et l’écologie scientifique ; toute écologie qui ne ferait pas ce lien serait vouée à l’échec.
Et, Noirlac oblige, Georges Buisson clos cette conversation par quelques phrases de notre précurseuse locale en écologie : George Sand !