Femmes paysannes : les invisibles de l’histoire
Le 8 mars dernier, journée du droit des femmes, l’association « Femmes solidaires de La Châtre » avait programmé une conférence historique sur « Les femmes paysannes : les invisibles de l’histoire ». Cette conférence se déroulait dans le musée des Traditions de Chassignolles. Ce site, haut lieu des traditions rurales en Boischaut-sud se prêtait à merveille à ce thème, quoique la salle se soit révélée bien petite pour recevoir un public aussi nombreux !
La conférence présentée par Jean Annequin, historien, sous le regard bienveillant de George Sand, était agrémentée de nombreuses lectures par différentes intervenantes.
Les femmes ont toujours joué un rôle majeur dans l’économie et dans la vie de la société, tout spécialement dans les campagnes. Cependant, très peu de documents traitent de leurs actions. Il s’agit donc de s’interroger sur cette invisibilité. Trois facteurs expliquent cette invisibilité :
- le patriarcat qui domine le monde (dont la loi salique au moyen-âge en est le summum),
- la religion (les clercs qui rédigent les documents sont tous des hommes),
- la centralisation (le pouvoir central a toujours été tenu par des hommes).
Au 19ème siècle, le code civil de Napoléon a fixé ces préjugés mais si on se penche sur l’histoire, les femmes se sont toujours engagées et ont été militantes.
Au moyen-âge les femmes sont cantonnées dans les tâches domestiques ingrates, mais en période de crise la division sexuée du travail s’amenuise.
Jusqu’à la guerre de cent ans les femmes participent à la vie communautaire dans les assemblées d’habitants où elles peuvent s’exprimer, voter, signer… Ces assemblées décident des zones à mettre en culture, des fêtes à prévoir … Les femmes jouent également un rôle majeur dans les « communautés taisibles » qui exploitent en commun un domaine indivis.
Dans ces sociétés médiévales les biens communs, terres collectives permettent aux indigents et aux plus pauvres de survivre. Mais ces biens communs sont l’objet de convoitise de la part des seigneurs avec l’appui du clergé. Des manifestations paysannes se déclenchent, les femmes y participeront largement.
Du 15ème au 17ème siècle, l’ouverture du monde aux femmes régresse avec l’accroissement du pouvoir central (détenu par les hommes) et par les violences religieuses liées aux guerres de religions. Les femmes vivant seules, les veuves, plus indépendantes, sont particulièrement visées. C’est l’époque des procès en sorcellerie.
Aux 17ème et 18ème siècles, si les femmes mariées sont sous la domination de leur mari, les veuves peuvent devenir cheffe d’exploitation, par contre les jeunes filles sont exploitées, notamment avec l’apparition des premiers ateliers.
Le 17ème siècle voit de nombreuses luttes fiscales et frumentaires. Les femmes s’y impliquent encore largement (croquants, nu-pieds, bonnets rouges). Dans les Cévennes, les femmes (surtout les protestantes) cachent et nourrissent les hommes rebelles.
Pendant les guerres, les femmes acquièrent davantage de libertés : elles gèrent, négocient, prennent position et remplacent les hommes. Au retour de la guerre leurs décisions sont rarement remises en cause.
La Révolution n’est pas une période favorable aux femmes. Les femmes participent à la rédaction des cahiers de doléance. Lors de la Grande Peur, elles participent à la destruction des titres de propriétés seigneuriaux. Mais la morale religieuse étouffe la parole des femmes.
Le 19ème siècle est le pire siècle pour les femmes. Le code Napoléon en fait des quasi-objets. Avec le début de l’industrialisation, les femmes travaillent dans une proto-industrie où elles sont largement exploitées. Mais elles sont très présentes dans les révoltes et les révolutions quoique leur rôle soit occulté (sept femmes arrêtées dans la jacquerie de Buzançais en 1847, deux cents femmes arrêtées dans les révoltes de 1851 contre le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte).
La politique se traite dans le cercle familial, sur le marché ou à la sortie de la messe. C’est là que naissent les « émotions ».
A partir de 1850 commence l’exode rural. Beaucoup de femmes vont servir dans la domesticité bourgeoise et à la fin du 19ème l’exode rural se dirigera vers l’industrie textile.
Le 20ème siècle est caractérisé par la transition des années 60.
Au début du siècle le travail féminin est très dur avec parfois un travail d’appoint (tissage) en plus des travaux agricole et ménager. Mais une solidarité paysanne s’exerce et le travail est compensé par la fierté de nourrir sa famille.
Avec la guerre de 14 la répartition sexuée du travail s’estompe, 850.000 femmes deviennent cheffe d’exploitation. C’est le début de la mécanisation agricole (faucheuses-lieuses), mais la mécanisation dans l’industrie textile provoquera une crise qui détruira de nombreux revenus d’appoint du monde agricole.
Dans les années 30, les messages progressistes se développent notamment portés par la JAC (Jeunesse Agricole Catholique). Les Chambres d’Agriculture sont créées.
Avec la 2ème guerre mondiale, la charge de travail des femmes s’accroit (prisonniers, STO). Les femmes s’impliqueront largement dans la résistance mais leur rôle de résistante ne sera jamais officiellement reconnu.
Après la guerre se met en place une profonde transformation de la société rurale. Le syndicalisme se développe (FNSEA, MODEM, JAC…). Les retraites agricoles obligatoires apparaissent en 1955. Le modèle productiviste se met en place, la vulgarisation agricole se développe (comptabilité pour les femmes).
Parallèlement l’exode rural s’amplifie ; les jeunes ne veulent plus vivre comme leurs parents : la cohabitation intergénérationnelle est difficile. La contestation politique se développe axée, pour les femmes, par la demande de reconnaissance du statut d’agricultrice.
Dans les années 80 le mode de vie change, beaucoup de femmes exercent des métiers en dehors de l’agriculture (en 1990, elles représentent les 2/3 des épouses d’agriculteurs). Alors que la taille des exploitations explose, les agricultrices apportent une autre vision, plus de diversifications (maraichage, bio, tourisme agricole…).
Les CUMA (coopératives d’utilisation du matériel agricole) se développent. Elles permettent l’accès à des matériels plus performants, plus gros mais la taille des pièces à manipuler nécessite une force physique qui pourrait exclure les femmes.
Les droits sociaux et la question du statut des agricultrices progressent lentement : le congé maternité n’apparait qu’en 1977 et une femme seule à la tête d’une exploitation agricole est toujours difficilement admise (pour beaucoup elle prend la place d’un chef d’exploitation !).
Il reste encore beaucoup de points à améliorer autour du statut d’agricultrice, de l’accès à la terre ou de la prise en compte de la diversité de genre. Mais Jean Annequin termine sur une note optimiste : « Les femmes ont toujours montré leur résilience au cours de l’histoire ».
Après cette conférence très documentée, et après quelques chants voici « Les Brind’elles » : un groupe de femmes vivant en milieu rural, dans le Boischaut sud, du côté d’Aigurande. Beaucoup sont agricultrices mais pas toutes. Elles sont venues entre chansons, humour et poésie nous parler de leur métier et du monde rural tel qu’elles le vivent : moment d’échange très convivial.