La crise de l’habillement à Noirlac : deux histoires
Le 27 avril, Noirlac consacrait sa deuxième « Matinale » à deux crises dans l’industrie de l’habillement à des périodes historiques bien différentes.
Proche de nous, le groupe Vivarte était un leader de l’habillement en France avec les marques André, La Halle, Chevignon, Kookaï, Naf-Naf, Pataugas et autres …). En 2021, ce groupe sombre après de multiples plans de licenciements. Les causes sont diverses : négligence dans la gestion, décalage par rapport à l’air du temps, arrivée de la fast fashion, baisse de qualité… Ce drame a eu des conséquences désastreuses en Berry, notamment à Issoudun et Châteauroux.
Elise Dabrowski, chanteuse lyrique, et sa compagnie Trepak sont revenues sur cet épisode en créant un opéra contemporain « Tomber sans bruit ». Le livret cette tragédie lyrique est basé sur des archives sonores : publicités du groupe, discours des dirigeants, d’analystes financiers, de syndicalistes. Un accompagnement de musique électronique, discret, laisse toute sa place au texte chanté.
Sur scène, dans le dortoir des convers, dirigeants, salariées de l’entreprise se renvoient la balle dans un dialogue lyrique impossible dont l’issue est inéluctable.
Emouvant.
Mais auparavant, Gil Bartholeyns, historien du monde médiéval et du vêtement est revenu dans sa conférence sur une crise du textile beaucoup plus ancienne.
Début 1295, en Flandre c’est l’inquiétude dans l’industrie textile qui domine le monde de l’époque : les villes flamandes, alliées à la France, subissent l’embargo de l’Angleterre or la laine anglaise est la meilleure. Et pour leurs clients, la très haute société, celle des rois, des reines et leurs cours, la qualité la plus élevée est indispensable.
L’époque est aux produits standardisés, ayant une forte personnalité et parfaitement référencés de façon à inspirer la confiance : on achète une référence, une réputation. Le parallèle avec notre époque est évident où on consomme des signes, des emblèmes, des marques. Dans les grandes foires, les marchands présentent des échantillons avec un descriptif détaillé … et ils prennent les commandes qui seront livrées plus tard.
Pour la fabrication de ces produits de luxe, des métiers spécialisés hautement qualifiés sont apparus avec l’urbanisation. Dans ces villes une classe aisée est apparue, ouvrant un marché pour les produits de luxe, d’autre part l’exportation se développe.
Dans ce contexte, le blocus anglais des villes flamandes conduit à une réorganisation des productions : la main d’œuvre flamande qualifiée passe au Brabant et le Brabant récupère les marchés de la Flandre. Le drap brabançon devient le drap des rois et des reines.
Pour ces produits référencés les opérations de contrôle apparaissent à chaque étape de la fabrication : l’origine de la laine est certifiée, chaque opération jusqu’à la production du drap fini est contrôlée (battage, dessuintage, cardage, filage, tissage, foulage…). La qualité est garantie par l’application d’un sceau.
Les copies sont pourfendues, seul l’original est recherché ; autant que la qualité, la réputation est associée à la provenance ; c’est la consommation de signes de richesse.
A ce basculement de l’industrie textile de luxe des Flandres vers le Brabant s’ajoute, au tournant du 14ème siècle, un basculement géographique lié aux conditions politiques de l’époque : la symbiose politique entre Marie de Brabant et Amédée V de Savoie ouvre le marché de Savoie aux draps brabançons. Marie de Brabant apporte avec elle en Savoie ses fournisseurs et son tailleur. De Savoie, les draps brabançons conquièrent alors l’Italie avec l’appui des financiers lombards.
Un autre élément du contexte change dans ces années là : la mode. Jusque là les modes durent sur de longues périodes et le changement est regardé avec méfiance. Puis à partir des années 1330-40, immense nouveauté, la mode change : les hommes s’habillent plus court, c’est le pourpoint, la femme s’habille plus long, ouvert sur le buste.
La sensibilité esthétique de l’époque requière une élégance dans la simplicité, mais c’est une fausse simplicité ; si le tape-à-l’œil est ridiculisé tout est dans le détail : ampleur du vêtement, parement, bijoux, accessoires… De fait le vêtement n’est pas simple mais il est très sophistiqué, la robe comporte de 5 à 7 pièces. La façon de porter le vêtement a pour but de le mettre en valeur (découvrir sans ostentation la doublure de fourrure ; se souvenir de la roue que fait le paon avec sa queue !).
A cette époque la bourgeoisie commence à se mêler à l’aristocratie par mariage ou à cause de sa fortune acquise par ses nouvelles compétences. Le mimétisme de la bourgeoisie se retrouve également dans le vêtement.
Malgré cela, ces codes de la mode ne concernent qu’une très infime minorité de la population. Il existe un marché de seconde main, voire plus, recherché par une population moins aisée.
Le drap de laine, malgré ses multiples usages, ne représente que 3 à 4% des tissus produits à l’époque.