LE THEATRE DE LA PESTE – Patrick Boucheron – Mélanie Traversier
Patrick Boucheron, historien, professeur au Collège de France était à Noirlac, le 6 avril en compagnie de Mélanie Traversier, pour une lecture performée à deux voix, basée sur des textes de Guillaume de Machaut revus par Patrick Boucheron.
Cette performance intervenait dans le cadre du cycle « Des moyens âges contemporains ».
La Covid a fait remonter à la surface les comportements de période d’épidémie : on ne se touche plus, plus d’embrassades, on reste confinés, on acquiesce à ces contraintes. Un moment pour se remémorer les autres épisodes épidémiques qu’a connu l’humanité.
Guillaume de Machaut est le témoin privilégié d’une autre grande épidémie : la peste de 1348-49. Guillaume de Machaut est un poète, un musicien virtuose. Il compose des poésies et des « dits » qui n’ont pas vocation à être chantés. On le compare à Pétrarque. Il est le premier à revendiquer le statut d’auteur.
A la fin des années 1430 il écrit « Le jugement du roi de Bohême » : De la Dame dont le mari est mort ou du Chevalier abandonné par sa Dame pour un autre, lequel est le plus à plaindre ? Le narrateur demande l’avis du roi de Bohême. Celui-ci consulte et juge que c’est le Chevalier qui est le plus malheureux.
Puis vient la Morille, la maladie à bosses. Les villes et les cités s’effondrent. La peste pousse les hommes à se voir tels qu’ils sont ; elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse des hommes (Antonin Artaud « Le théâtre et la peste ») : il se dit que les juifs empoisonnent les puits, les hérétiques se flagellent, les amis rejettent les amis.
Il n’y a aucun remède. Sur cent il en reste neuf. Les domaines restent inexploités, les animaux domestiques errent et personne n’en revendique la propriété, il n’y a plus de seigneur, plus d’ordre, plus de sécurité.
« Je m’enfermais dans ma maison et m’en remis à Dieu. Jusqu’à ce que j’entendis un jour les cornemuses d’un mariage. On me dit qu’il n’y a plus de morts. »
Et la vie reprend comme avant. Une lectrice du « Jugement du roi de Bohême » proteste auprès de Guillaume de Machaut : «le poète doit défendre la cause des femmes ». Sa première réponse est «Je suis ce que je suis et il ne m’importe pas de savoir si j’ai raison ou j’ai tort » mais néanmoins il donne une suite au jugement du roi de Bohême : "Le jugement du roi de Navarre" qui, lui, condamne le poète.
La vie d’après reprend comme la vie d’avant. Peu à peu les temps se brouillent, avant, après l’épidémie ? C’est la confusion des temps !
Mais, au même moment, chez Pétrarque la réaction est toute différente : il a perdu Laure, son amoureuse, sa muse et pour lui l’après sera très différent de l’avant.
En Avignon le 9 juillet 1983 est donné dans la cour d’honneur « Dernières nouvelles de la peste » mis en scène par JP Vincent. La pièce est reçue sous les huées du public. Pourtant une nouvelle peste était bien là, la pièce l’annonçait, elle n’avait pas encore donné son nom : le SIDA
La performance se termine par « le monologue de la Peste » : elle qui tue, déplace les suspects, chasse les nègres, brûle les juifs… mais c’est elle qui nous a appris l’hygiène. Et la peste se retire à l’autre bout du monde, en Californie, en Afrique, en Inde pour retrouver sa puce du rat (xenopsylla cheopis).
« Peste, nous ne vieillirons pas ensemble ! »
Un spectacle reprenant ce sujet sera présenté cet été à Avignon.
Après cette brillante performance de Patrick Boucheron et Mélanie Traversier nous allons au réfectoire des moines pour retrouver Guillaume de Machaut musicien, interprété par le duo Mnémosyne avec Eugénie De Mey (chant, vielle et boite à musique) et Michaël Liberg Grebil (chant, cistre à archet).
Concert tout en douceur « Tel rit au Main qui au Soir pleure… ». Même la plus terrible tragédie cède la place au retour des oiseaux, au printemps et à la vie. La complainte de Guillaume de Machaut s’ouvre sur d’autres œuvres, de Messiaen à Stockhausen ; confusion des temps.