Toponymie en Pays de La Châtre-Ste Sévère avec Guylaine Brun-Trigaud et Stéphane Gendron
Les Amis du Vieux La Châtre et la Société Française d’Onomastique ont organisé des journées d’étude sur le patrimoine des noms de lieu au Pays de La Châtre les 5 et 6 avril.
Notre région présente l’intérêt de se situer aux confins des langues d’oc et d’oïl. Cette limite a été étudiée depuis le début du 19ème siècle.
En 1807 Conquebert de Montbret fait traduire en patois local la « Parabole de l’enfant prodigue », mettant en lumière les limites entre langues d’oc et langues d’oïl.
Une étude plus fine des philologues Tourtoulon et Bringuier (1873-1876) a conduit à l’identification d’un espace linguistique intermédiaire entre langue d’oc et langue d’oïl : le « Croissant linguistique ». Cet espace de transition passe dans notre région.
Au 20ème siècle, un Atlas linguistique a été mis au point ; il recense les différents parlers locaux. Pour notre région Pierrette Dubuisson y a accompli un travail remarquable.
Depuis, de nombreuses autres enquêtes ont été réalisées, souvent avec diverses motivations et les comparaisons sont difficiles. Une nouvelle étude est en cours. Elle demande cette fois aux locuteurs de chaque région de raconter « Le Petit Prince » en patois, mais cette étude se heurte à la difficulté de trouver des locuteurs compétents tant le patois a disparu.
Guylaine Brun-Trigaud, docteur en science du langage et elle-même originaire de Lourdoueix St Michel, situé dans ce croissant linguistique, revient pour nous sur ces parlers du croissant pour montrer comment les traits occitans se retrouvent tant dans le lexique patoisant que dans la toponymie de la région.
Langues d’oc et d’oïl dérivent toutes deux du latin mais en langues d’oc le « p » latin s’est transformé en « b » tandis qu’en langues d’oïl il est devenu « v ».
latin | langues d'oc | langues d'oïl |
capra | cabra | chèvre |
lepore | lebre | lièvre |
lupa | loba | louve |
nepote | nebot | neveu |
piper | peber | poivre |
Cette évolution se retrouve en toponymie par exemple entre des dérivés de lupus (loup) : loubière, loubatière, chanteloube…
En toponymie, la répartition entre « fontaine » au nord et « font » au sud marque également la séparation entre langues d’oïl et d’oc.
On peut également suivre l’évolution du latin « caucida » qui donne « chardon » au nord et « échaussis » au sud.
Avec ces exemples, on s’aperçoit que l’apport des langues d’oc s’est étendu bien plus au nord que le suggère les cartes du croissant linguistique de Tourtoulon –Bringuier ; il va parfois jusqu’au nord du Cher.
Après ce cadrage de Guylaine Brun-Trigaud, Stéphane Gendron présente une analyse exhaustive des noms de lieu du pays de La Châtre-Ste Sévère (plus Montipouret et Crevant), relevés sur le cadastre napoléonien, soit 14332 toponymes !
On retrouve là aussi les mots d’origine occitane mêlés aux mots de la langue d’oïl. Ainsi, à côté de « pré » (très majoritaire) apparaissent des « pras » d’origine occitane de même que « prade » dont la terminaison « ade » est caractéristique du Croissant.
Les dénominations « Pâtureau » ou « Pâtural », très présentes chez nous, sont caractéristiques du sud de la France, le nord utilisant les termes « Pâture » ou « Paturail »
Le toponyme de « Goutte » (ou ses dérivés) se retrouvent essentiellement dans le sud du Pays de La Châtre. Il ne semble pas se référer uniquement à une fontaine ou à une source mais plus généralement à une pièce d’eau (étang, mare, rivière…) alors que le terme « font » est spécifique d’une fontaine ou d’une source.
Parmi les dénominations moins courantes, « Cosse, cossaire, écossaire … » semble indiquer une zone défrichée, « Porte » est généralement un pré près des habitations.
Un « Terrier » est, chez nous, une butte de terre, une variante très usitée est « Trait (Traix, Treix…)»
Les noms de végétaux sont fréquents en toponymie, ils apparaissent dans notre région sous leurs deux formes :
langues d'oïl | langues d'oc |
charme - charmois | charpe - charpagne |
chêne - chênais | châgne, châgnère - chassignolles |
bouleau - boulaie | pétouille - pétou- bétoule |
saule - saulaie | sauze - sauzaie |
prune | preugne |
Les terminaisons en a ou at se retrouvent au sud de la zone d’étude : chagnat, charpras, sauza, tremblat, nougerat (noyer).
Le terme de Beauce (biauce) fait référence à la grande région naturelle du Bassin Parisien et indique une bonne terre de culture. Une bonne terre argileuse peut également être dénommée « boulais ».
Il se trouve une particularité locale à Thevet St Julien et à La Berthenoux avec de nombreux noms en « Champqua… » suivis d’un patronyme. On peut supposer que la signification est : « le champ qui est à… ». Cette dénomination sur le cadastre reflète-t-elle un usage local ou est-elle due au géographe qui a rédigé le cadastre ? Difficile à dire : les méthodes utilisées pour rédiger le cadastre ont été très opaques et on ne peut rien affirmer.
Ces variations lexicales et toponymiques d’origine géographiques interfèrent également avec la mobilité des personnes, notamment à cause des grandes foires et marchés et des personnes se déplaçant qui ont pu laisser leur patronyme à des noms de lieux. Néanmoins, la microtoponymie est la conservation de la mémoire de la région.