L'art des femmes - Celles d'ici

Publié le par nous-en-boischaut-sud

Le 17 novembre dernier, Brigite Bardelot avait présenté une conférence sur « L’ Art des femmes » au Pôle de l'Etang Merlin à Châteaumeillant dans le cadre de l’exposition « Correspondance ». Elle s’était intéressée aux artistes françaises, se réservant, dans une deuxième conférence de parler des autres artistes : celles d’ailleurs ((celles d'ailleurs - lien).

Les artistes sont classées par époque : les grands-mères, les mères, les filles.

Les Grands-mères

Les origines

On ne saura jamais qui a peint les grottes de Lascaux ou Chauvet, qui a sculpté les Vénus préhistoriques, mais dans ce dernier cas, il est bien possible que ce soient des femmes enceintes qui se soient représentées elles-mêmes.

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La première preuve d’une activité artistique féminine est une fresque pompéienne représentant une femme peignant.

En France au Moyen âge : anonymat général

En France, la plus ancienne trace d’une artiste serait le tombeau d’une gallo-romaine du 2ème siècle situé près de Fontenay le Comte : il contenait une boite de couleurs ainsi que des vases portant des traces de pigment, des manches de pinceaux…

Au moyen-âge, la broderie et la tapisserie sont des occupations favorites des châtelaines. La tapisserie la plus célèbre, celle de Bayeux, est attribuée à la reine Mathilde mais elle est plus probablement l’œuvre d’un atelier ou d’un couvent.

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Beaucoup de talents artistiques vont s’épanouir dans les couvents, notamment dans le domaine de l’enluminure : Ende (10ème siècle), Guda (12ème siècle) Claricia (13ème siècle). Les 12ème et 13ème siècles sont des périodes d’émancipation des femmes, mais l’anonymat était la règle pour tous.

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A la Renaissance, de nombreuses femmes travaillent dans les ateliers d’art, leur présence est attestée dans les écrits de Bocace (1313-1375) « Sur les Dames de renom » ou de Christine de Pisan (1365-1430) « La cité des Dames ». A l’époque, les productions sont uniquement signées par le maitre et il n’existe aucune femme à la tête d’un atelier avant la fin du 19ème siècle.

Fille ou femme de …

Les femmes de familles d’artistes sont condamnées à vivre dans l’ombre de la figure tutélaire. Elles doivent se cantonner à des sujets féminins (fleurs, portraits, miniatures …) le nu leur est interdit, la violence est mal vue. Les miniatures de Marie Anne Fragonard et Marie Jeanne Boucher sont attribuées à leurs maris. La seule  à connaitre la célébrité de son vivant est Elisabeth Vigée-Lebrun, épouse de Charles Lebrun peintre officiel du palais de Versailles. Cette très grande portraitiste devint la peintre officielle de Marie Antoinette.

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A la Révolution, la fondation du musée du Louvre impose, en adéquation avec les valeurs dominantes, une idée de la modernité qui exclue largement les femmes. Même si les ateliers les plus célèbres (David, Greuze …) accueillent de plus en plus de femmes, celles-ci n’accèdent pas à la notoriété qu’aurait pu leur apporter le musée.

Marie Denise Villers (1774-1821), élève de Girodet et de David, est très appréciée de la riche bourgeoisie ; son autoportrait (1801) fait partie des tableaux les plus appréciés dans le monde.

Henriette Browne (1829-1901), peintre « orientaliste » reconnue, obtient une renommée internationale.

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Mais ces artistes n’ont été redécouvertes que récemment.

Le 19ème siècle : l’étouffoir

La femme est plus que jamais exclue du monde de l’art (la visite du Louvre n’est autorisée aux femmes qu’à partir de 1810), la femme est objet de l’art essentiellement vue au travers de l’imaginaire masculin ! Quelques femmes émergent, à un niveau cependant inférieur à ce qu’il devrait être.

Rosa Bonheur (1822-1899) première artiste du courant réaliste, elle expose aux côtés  des peintres de Barbizon. Se cantonnant dans les paysages et scènes paysannes, elle est parfois qualifiée de « peintre du terroir » (alors que Corot ou Millet, eux, sont qualifiés de « paysagistes »).

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Berthe Morisot (1841-1895), jeune fille de bonne famille, née à Bourges, rebelle et indépendante,  rejoint les impressionnistes mais ne connaitra pas de son temps la notoriété de ses amis, malgré un style qui en fait l’égale de Monet ou Bonnard.

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Au milieu du 19ème siècle, l’émancipation de la femme devient un enjeu politique.

Suzanne Valadon (1865-1938) aux antipodes de Berthe Morisot, est une femme du peuple. Amie de Degas et Toulouse-Lautrec, elle fait partie de la bohème de Montmartre et intègre le fauvisme. Artiste puissante et novatrice, elle n’hésite pas à peindre des nus et des sujets triviaux. A la fin de sa vie, son style devient de plus en plus expressionniste.

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La vie est encore plus difficile pour celles qui choisissaient la sculpture, métier masculin par excellence.

Camille Claudel (1865-1943) après sa séparation d’avec Rodin, elle reçoit une commande importante de l’Etat. Elle réalise un groupe monumental en plâtre qui sera son œuvre majeure, dans laquelle elle se représente désespérée et abandonnée par Rodin. Mais elle n’a pas suffisamment d’argent pour fondre le bronze, l’Etat se désiste sans lui verser un sou.

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Les Mères - Le 20ème siècle

Malgré la tragédie de la 1ère guerre mondiale, modernité et progrès s’installent. Dans le domaine de l’art les avant-gardes surgissent dans toute l’Europe.

Sonia Delaunay (1885-1979) d’origine ukrainienne, elle développe avec son marie Robert Delaunay, une peinture abstraite « en contrastes simultanés », elle applique le même principe aux objets du quotidien qu’elle réalise, faisant la synthèse entre arts appliqués et création artistique.

Helena Vieira da Silva (1908-1992) d’origine portugaise réalise des compositions denses d’un « paysagisme abstrait » avec une palette de couleurs limitée ; elle s’inspire de lieux de passage (avenues, carrefours …) allégories d’une quête de rencontres, de connaissances et de savoirs…

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Germaine Richier (1902-1959) fait partie de ces femmes qui se lancent dans la sculpture. Après des bustes de facture classique, elle passe à des sculptures animalières qui conservent quand même une vague apparence humaine.

Louise Bourgeois (1911-2000) après une solide culture artistique elle se consacre tardivement à la sculpture. Elle sublime dans son œuvre les traumatismes de son l’enfance.

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Les filles - 68 … enfin !

La décennie 70 est un tournant capital pour les femmes. En art, performances, installations, vidéos, numérique supplantent la peinture de chevalet ou la statuaire classique.

Niki de Saint-Phalle (1930-2002) née dans la haute société franco-américaine. Autodidacte en matière artistique créée ses « Nana », femmes voluptueuses. Puis s’intéresse aux réalisations in-situ Inspirée par Gaudy et le facteur Cheval crée avec Tinguely en forêt de Fontainebleau, une « méta-machine » recouverte de fragments de miroir qui l’intègrent dans l’environnement. Elle imagine un jardin fantastique en Toscane avec 22 figures monumentales en béton recouvert de céramique, de miroir, de verre…

Lydie Arickx (1954…) d’abord reconnue comme peintre, elle aborde la sculpture monumentale, elle est fascinée par l’architecture interne des organes humains. Ses sculptures provoquent souvent un sentiment de malaise.

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Isabelle Milleret travaille des blocs énormes de pierres ou marbre jusqu’à en obtenir une douceur sensuelle, abolissant frontière entre esprit et matière, son travail s’apparente à un yoga, une méditation active.

Berlinde de Bruyckere (1964…) élabore des mises en scène caravagesques par la crudité et la cruauté des thèmes. Ses sculptures génèrent la controverse, spectacle de la fragilité confrontée à la destruction. Cependant son souci d’autrui et le soin prodigué à ce qui a été meurtri en font une artiste humaniste.

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La peinture est une technique en forte régression ; deux artistes cependant :

Lydie Arickx travaille des matières lourdes, montre des œuvres violentes qui se caractérisent par l’outrance (alors que l’artiste est personnellement plutôt souriante et joviale !). Elle aime les très grands formats ; elle est adepte de performances, en direct  au cours de ses expositions. Depuis quelques années, sa palette s’éclaircit, peut-être le signe d’un certain apaisement?

Tania Mouraud (1942…) graphiste, photographe, vidéaste, performeuse, ses peintures murales sont des recherches sur l’écriture et la calligraphie.

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Le body art est né dans les années 60, en voici deux représentantes qui se caractérisent par leur radicalité absolue, à la limite du supportable.

Gina Pane (1939-1991) s’interroge sur la souffrance, s’inflige des blessures minutieusement préparées. Elle répond par une souffrance volontaire à la terreur, à la torture, à la montée des périls. La violence de ses actions était à la mesure de l’hostilité qu’elle suscitait. De 1975 à sa mort, elle était une professeure charismatique aux Beaux Arts du Mans.

Orlan (1947 …) a les mêmes préoccupations de Gina Pane mais sur un mode plus ironique. Le corps est le support de l’œuvre. Elle détourne la chirurgie esthétique pour refaire son visage selon trois chefs d’œuvre d’histoire de l’art (Vénus de Botticelli, la Joconde, Agnès Sorel).

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Sophie Calle (1953 …) est une artiste conceptuelle : la représentation d’une œuvre est remplacée par son objet ; elle fait de sa vie une œuvre d’art, les photos, livres … ne sont que le témoin du processus.

Annette Messager (1943 …) créé une œuvre protéiforme évoluant entre autobiographie intime et réflexion féministe. Son travail est un questionnement sur l’ordinaire et l’extraordinaire, la mesure et la démesure, le plaisir du jeu et l’angoisse de la condition humaine. Elle créé des univers dans lesquels le textile a une grande part. Annette Messager est certainement l’artiste la plus importante en France actuellement.

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Laure Prouvost (1978 …) ses installations mettent le spectateur dans des situations de doute mais aussi d’étonnement. Son travail explore les relations entre langage image et perception. Ses installations sont des odes aux chemins de traverse, à la joie et à l’humour.

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En conclusion, il n’y a pas d’art spécifiquement féminin et le talent n’a pas de genre mais l’art au féminin comporte certaines spécificités :

  • Plus autobiographique, elles parlent d’elle sans pudeur ni inhibition et de leurs expériences personnelles elles parviennent à tirer un enseignement universel.
  • Leur engagement est total, sans concession. Elles semblent répondre à une sorte d’urgence à exprimer ce qu’il y a de plus profond en elles.
  • Elles ne sont cherchent pas à se mettre en valeur. Elles sont plus intéressées par le « faire » que par le « paraître ». Leur sincérité est absolue.
  • Il y a certainement moins d’imposteurs chez les artistes féminines que parmi leurs homologues masculins.  Mais à chacun de juger !
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