Des patrimoines à La Périsse
Le chevalier Jean-Marie Heurtault de Lammerville était un physiocrate, aujourd’hui il aurait été un écolo, mais quand il a acheté le domaine de La Périsse (commune de Dun sur Auron) en 1773, il n’a pas fait une bonne affaire ! Son domaine comprenait le plus grand causse du Berry : un socle de calcaire lacustre compact recouvrant le calcaire jurassique de la champagne berrichonne, et une très fine couche de terre arable dessus, et encore quand le rocher n’affleurait pas. Comme dans tous les causses, des effondrements, des avens, des fractures, un relief de surface tourmenté. Une terre à moutons, mais mauvaise.
Ce causse est traversé par une rivière issue des marais de Contres. Elle sert d’abreuvoir pour les moutons. Un lavoir y avait également été installé, avec une petite particularité : les tables servant à battre le linge étaient réglables en hauteur, par un système de poulies, en fonction de la hauteur du ruisseau, les poulies crantées sont toujours là.
C’est une terre vraiment très sèche et quand nous l’avons visité ce 17 septembre, après les mois de juillet et d’aout pratiquement sans pluie, la végétation était des plus réduites : de maigres graminées desséchées, des achillées mille feuilles rabougries, quelques pieds d’hysope rampantes ou de spirée arbustives essayant difficilement de s’adapter.
A l’état sauvage le terrain se couvre de broussailles et de petits arbustes : cornouillers, églantiers, ronces, genévriers, noisetiers ... ici et là des pieds de rosier pimprenelle, un cerisier de Ste Lucie avec de toutes petites cerises noires…
Lorsque le terrain est pâturé, seul le genévrier se développe, c’est le seul conifère autochtone de nos régions, et cela donne un aspect plutôt plaisant au paysage.
Ah mais si voyiez tout cela au printemps, tout resplendit de fleurs ! Mais en cette saison sèche ce sont surtout des oedipodes qui sont intéressantes, les criquets ou les sauterelles quoi !
D’ailleurs, vous connaissez la différence entre criquets et sauterelles ? Regardez les antennes : les criquets ont des antennes courtes et les sauterelles des antennes longues (une demi fois à une fois la longueur du corps). Le dectique des brandes est une espèce de sauterelle fortement menacée, elle est présente sur ce site.
Mr de Lammerville était un physiocrate donc ; alors il décida quand même de tirer parti de cette mauvaise terre. C’est une terre à moutons, alors améliorons la race des moutons. Il « importe » des moutons mérinos d’Espagne, de façon plus ou moins légale, car l’exportation de mérinos était strictement interdite par l’Espagne. Louis XVI fait de même à la même époque en créant la bergerie de Rambouillet. Les moutons mérinos permettent d’obtenir une laine de bien meilleure qualité. Des bergeries modèles sont construites et les mérinos sont taillés dans la pierre.
Jean-Marie Hertault de Lammerville meurt en 1810 mais le domaine de La Périsse reste dans la famille ; il y est encore actuellement, c’est Emmanuel Heutault de Lammerville qui en a maintenant la responsabilité. En plus de deux siècles, le domaine de La Périsse a vécu bien des vicissitudes. A partir de 1825, le prix de la laine s’effondre. L’élevage de moutons se réoriente vers les races à viande. Mais à partir de 1840, l’exploitation du minerai de fer prend la relève jusque au début du 20ème siècle, deux à trois cents ouvriers travailleront à La Périsse pour l’extraction du minerai. Les mines, à ciel ouvert ou dans de petites galeries, laissent des traces sur le paysage et il est facile de trouver des fragments de minerai qui ont été rejetés lors de l’extraction, non utilisables car les nodules de fer sont trop petits.
Un « patouillet » installation pour nettoyer le minerai, est construit sur place.Le bâtiment qui l’abritait est encore visible. Le minerai était ensuite acheminé vers les forges de Tronçais, soit par des trains de mulets soit, plus tard par le canal de Berry. Cette activité s’arrête à la fin du 19ème siècle.
Le site est maintenant un espace naturel sensible, il fait partie de l’espace Natura 2000 et est géré en collaboration avec le Conservatoire Centre Val de Loire. Comme au 19ème siècle, la pelouse est pâturée par des moutons, dont des mérinos. Des « berrichonnes de l’Indre » ont été introduites pour sauvegarder cette race menacée.
Merci à Jean-Paul Thevenin, conservateur du site, et à Mme Heurtault de Lammerville pour cette découverte lors des journées du patrimoine. Nous reviendrons au printemps pour une autre vision des chaumes de La Périsse.